Le
4 mars, ce sera la fête des grands-mères. Pour l’occasion, partons à la
rencontre d’une grand-mère bien de chez nous, une grand-mère catholique
du siècle passé, qui a vécu dans le Brabant, près de Wavre.
Encore peu connue en Belgique, la fête des grands-mères est pourtant
populaire en France. Fêtée le premier dimanche de mars, elle voit le
jour en 1987 sous l’impulsion de la marque Café Grand’Mère. Si cette
fête a donc une origine commerciale, elle n’en est pas moins l’occasion
de fêter nos aïeules.
Si toutes les grands-mères méritent qu’on se souvienne d’elles, nous
avons choisi d’accorder une attention toute particulière à l’une d’entre
elles. Il ne s’agit pas d’un personnage célèbre, non. Mais d’une
grand-mère comme il y en a sans doute beaucoup, une grand-mère qui
aimait ses petits-enfants et aussi, une femme particulièrement pieuse, à
la fois simple et inspirante: Madeleine Hereng, née Delaby.
Pour découvrir cette grand-mère à la fois simple et exceptionnelle,
nous avons rencontré sa fille Bernadette, ainsi que sa petite-fille,
Nathalie. Elles nous ont aussi permis de consulter certaines lettres
issues de sa correspondance, et nous ont partagé leurs souvenirs…
Jeune fille de la campagne
Née en 1912, Madeleine Delaby a grandi à Vieusart. Dans sa jeunesse,
elle a été active au patronage, puis à la JACF (Jeunesse agricole
catholique des femmes, un mouvement rural de jeunesse chrétienne
féminine), où elle remplit le rôle de secrétaire, puis de présidente.
Elle y était particulièrement appréciée. Mais durant toutes ces années,
Madeleine a d’abord été une « jeune fille de la campagne »…
« Très simplement, raconte une de ses amies jacistes dans une lettre qu’elle lui écrira plus tard,
vous
remplissiez le long de la journée ces multiples tâches de la jeune
fille de la campagne, vous alliez aux champs et devant les beautés de la
nature, votre pensée s’élevait vers le Bon Dieu, reconnaissante et
admirative. Vous disiez à Celui qui a créé ces merveilles, combien cela
vous plaisait de les admirer et d’y voir sa puissance et son amour de
Créateur et de Père. Et puis, vous aidiez votre Maman à faire le ménage,
dans votre ouvrage, vous étiez cette étincelle joyeuse qui a toujours
accompagné chacun de vos actes. »
Après avoir longtemps hésité entre le mariage et la vie religieuse,
le 25 octobre 1941, elle épouse Gaston Hereng, qui vient également de la
campagne brabançonne. Malgré un certain don pour le commerce, il se
destine à la vie agricole, une vie qui exhale pour lui le sens véritable
de la liberté. Madeleine a presque trente ans.
« Sous l’égide de la Vierge… »
D’emblée une valeur essentielle unit le jeune foyer: la famille. Peu
de temps avant le mariage, Madeleine confie au curé de Vieusart:
« Monsieur
le curé, savez-vous ce qui me donne plus d’assurance… plus de confiance
envers mon fiancé ?… c’est le culte qu’il porte à sa mère. » Au
sein de la famille, la figure maternelle a, pour Madeleine et Gaston,
une place toute spéciale. La mère, c’est aussi, dans leur cœur, et tout
particulièrement pour Madeleine, la Vierge Marie.
Le jour de leur mariage, le curé de Vieusart l’évoque sous
l’appellation « Notre-Dame des champs », une appellation significative
dans le milieu agricole de l’époque:
« Comme autrefois avant toutes
nos réunions nous invoquions N. D. des champs, aujourd’hui encore
l’avons priée pour qu’elle préside à cette douce cérémonie », écrit le curé. Et son amie jaciste d’ajouter :
« Que
Notre-Dame des Champs exauce nos prières, qu’Elle réalise tous vos
désirs, et vous rende heureuse de très longues années, ainsi que tous
ceux que vous aimez. »
Ce jour-là, le curé de Vieusart encourage les époux à une
« affection indéfectible » et à considérer les enfants que Dieu leur enverra comme un trésor précieux, un trésor
« qui vaut plus que le monde entier ».
Madeleine et Gaston n’y manqueront pas. Faisant suite aux neuvaines que
Madeleine adresse à la Vierge, ils auront quatre enfants, toutes des
filles, qui leur donneront à leur tour des petits-enfants… et voici
Madeleine grand-mère.
Mais avant cela, elle aura été une femme exemplaire, une mère attentive et une épouse dévouée.
Une femme exemplaire
À la ferme Hereng, située à Grandsart, le travail ne manque pas. Sa
fille aînée, Bernadette, nous raconte comment se passaient les journées
de sa mère:
« Madeleine se levait tous les jours à cinq heures et demi […]
descendait vider le tiroir à cendres du poêle […] avant de l’allumer
avec le petit bois et les bûches rentrées la veille, par Gaston. Pendant
que le feu prenait, elle moulait le café […]. Elle avait déposé la
grande bouilloire directement sur les flammes […]. Une bonne odeur de
café se répandait dans la cuisine, attirant Alphonse [le valet de ferme]
qui venait boire sa jatte avec elle avant de descendre à l’étable. […]
Pendant la traite des vaches, Gaston s’occupait de nourrir les chevaux
et de les atteler pour aller aux champs.
Pour sept heures les six vaches étaient traites […] À huit heures
toute la famille se retrouvait dans la cuisine pour prendre le petit
déjeuner. Gaston allait alors aux champs avec les chevaux. Il rentrait
pour le repas de midi que Madeleine commençait à préparer dès neuf
heures le matin. Elle allait chercher tous les légumes au potager,
choisissait de quoi faire une soupe différente chaque jour, épluchait
les pommes de terres récoltées sur leurs champs. Deux fois par semaine
seulement, elle cuisait de la viande. […]
À treize heures quand les hommes étaient retournés aux champs et
les filles à l’école, Madeleine faisait la vaisselle et se reposait
durant une petite heure en faisant du raccommodage. Les enfants
goutaient à seize heures des tartines beurrées avec de la gelée de
groseilles. Après les devoirs et les leçons, les filles devaient dresser
la table pour le repas du soir car Madeleine était « aux bêtes » et à
la laiterie tout comme le matin. Le repas du soir était très frugal […]
Vers 20 heures toute la famille était au lit… il n’y avait de ce temps
là ni radio ni télévision… ». Pour Bernadette, la fille aînée de Madeleine, c’était «
le bon vieux temps. »
Et malgré ses innombrables occupations, Madeleine ne manque jamais son chapelet, qu’elle récite chaque soir.
Avec le soutien de Gaston, Madeleine s’engage aussi à accueillir
d’anciens détenus tout juste sortis de prison, afin d’accompagner leur
réinsertion sociale. En échange, ils aident Madeleine et Gaston dans
leurs travaux à la ferme. Un geste qui marque chez Madeleine le souci
d’associer à la prière des actes quotidiens de charité: l’action sociale
s’enracine ici dans une vie de foi intense. Une foi imprégnée tout à la
fois par la conscience de sa condition d’être mortel et par la pensée
du Ciel…
La vie, la mort et le Ciel
La pensée du Ciel accompagnera toujours Madeleine. Toute sa vie elle
gardera un carnet dans lequel elle retranscrit ses réflexions,
spécialement suite à certaines récollections. Un carnet qui s’ouvre sur
ces quelques lignes :
« L’éternité. Pensons souvent à notre éternité. Si nous y pensions plus, nous pécherions moins. »
Madeleine a toute confiance en Dieu. Mais sa confiance est à la mesure d’une véritable exigence de sainteté :
« Ne nous contentons pas de dire « Du moment que nous avons une petite
place au ciel, c’est bon ». Ayons à cœur de gagner notre Ciel en faisant
des sacrifices, des actes de vertus, etc. C’est d’ailleurs ce que
faisaient les saints pendant leur vie. »
Toute sa vie durant, Madeleine a témoigné un profond respect et un
grand amour envers Dieu. Plus précisément, le respect que Madeleine
témoigne à Dieu est sa réponse à l’amour qu’il offre sans cesse en nous
élevant à une plus grande dignité.
« Il nous a élevé, écrit-elle
,
à une dignité plus grande. Il a fait de nous les temples du Saint
Esprit. Encore une fois, nous n’y pensons pas suffisamment.
Montrons-nous dignes de ces titres. »
Lorsque Madeleine pense à sa mort prochaine, cela suscite en elle le
désir de se préparer à chaque instant à rencontrer Dieu. La pensée de la
mort n’a, chez Madeleine, rien de morbide. De même l’amour de Dieu
engendre chez elle une confiance invincible. De cette manière, à propos
du jugement particulier, elle écrit:
« Il ne doit pas nous effrayer,
au contraire il est doux de penser que l’on sera seul face à face avec
ce Jésus qui nous a tant aimés. »
L’amour de Dieu et la pensée de la mort enjoignent donc Madeleine à
bien vivre, et à bien mourir également. Pour elle, la mort doit être la
« couronne de la vie »:
« Elle [la mort] doit être la couronne de
notre vie. La mort du corps n’est pas une mort réelle et il ne faut pas
la craindre car c’est la porte du ciel, porte de la vie éternelle. Mais
il faut craindre la mort de l’âme causée par le péché. Soyons toujours
en état de grâce. On pense si peu à la mort et l’on vit comme si jamais
on ne devait mourir. »
Une vie couronnée
Peu à peu, Madeleine et Gaston vieillissent. Le valet de ferme n’est
plus là, les filles sont mariées ou du moins, elles ont quitté le foyer.
Madeleine et Gaston sont maintenant grands-parents. Leur petite-fille,
Nathalie, se souvient encore des tartes que Madeleine préparait le
dimanche :
« Elle se levait très tôt pour commencer à préparer sa
pâte pour l’après-midi, pour recevoir de la famille ou des amis. Les
tartes dont on se souvient bien, c’est la tarte au fromage et la tarte
au sucre. » Des souvenirs chaleureux, car si Madeleine a été une
femme exigeante pour elle-même ainsi qu’envers ses filles, sa tendresse
se dévoile avant d’autant plus d’éclat pour ses petits-enfants.
« Tant qu’elle allait bien on se rendait ensemble à la messe le samedi soir à dix-huit heures à Profondsart, raconte encore Nathalie,
car le dimanche matin elle devait préparer le repas et ses tartes. À onze heures, elle recevait souvent les Le Clerq [des amis de Gaston et de Madeleine]
et elle sortait alors pour eux un petit Martini. Puis, c’était le
repas. Et à quatre heures, la famille venait, et on mangeait une tarte
avec une jatte de café. »
Sentant la mort venir, Gaston coupe du bois, non pour une année, mais
pour plusieurs… pour Madeleine, dit-il, quand il ne sera plus là. Une
dernière attention envers son épouse, tant que les forces le lui
permettent encore. Gaston meurt en 1979. Madeleine le rejoindra trois
ans plus tard.
Les dernières semaines de la vie de Madeleine sont très dures. Sa
fille aînée, Bernadette, l’assiste tout particulièrement dans ces
moments difficiles. Bien que le cancer la fasse horriblement souffrir,
Madeleine refuse tout antidouleur. À sa fille qui comprend mal cette
décision, elle explique qu’elle veut offrir ses souffrances au Christ.
Un mystère d’amour, un martyr d’amour que ne comprennent probablement
que ceux qui choisissent de le vivre…
Madeleine, qui souhaitait partir un 1
er novembre afin d’entrer au Paradis un jour de grande fête, est finalement exaucée. Elle s’éteint le 1
er
novembre 1981. Pour elle, la mort devait être la « couronne de la
vie ». Par sa foi sans borne et par la joie qui l’accompagne jusque dans
ses souffrances les plus terribles, sa mort aura bel et bien couronné
sa vie.
À nos grand-mères…
Cet exemple nous rappelle que chaque grand-mère est irremplaçable. La
tendresse de nos aïeules n’est-elle pas un précieux trésor? Mais une
femme animée par la foi et la charité est un trésor en elle-même.
Madeleine en est la preuve, en tant que compagne jaciste, jeune fille de
la campagne, épouse, mère, puis grand-mère enfin. Toute sa vie aura été
un témoignage de foi et l’expression de son amour pour Dieu.
La fleur associée à la fête des grands-mères est la jonquille. Après
l’hiver, elle est l’une des premières fleurs à parsemer les jardins de
couleurs printanières. Ses pétales en forme de trompette semblent
annoncer le retour des beaux jours. Comme Madeleine dont le souvenir,
même après sa mort, ne cesse de chanter le grand bonheur qui nous
attend, dès que lors que nous gardons l’amour de Dieu au fond de notre
cœur, ici et dans l’au-delà…
MMH
Source: CathoBel (http://www.cathobel.be/2018/03/02/fete-grands-meres-grand-mere-catholique-siecle-passe/)